(c) Mimi & tumblr Au loin, je l’avais observé. Depuis plusieurs jours. Je ne tenais pas à l’approcher encore. C’était trop tôt. Je n’étais pas certain d’être objectif. La ressemblance était telle qu’elle me transperçait le corps, comme une lame froide. Comme si cela était possible. Pourtant, je le ressentais profondément. Je n’avais pas vu ce visage en 130 ans « d’existence ». Il y avait de quoi paniquer, non ? Alors, je m’étais contenté de l’observer.
Au bar où elle travaillait. J’étais resté à l’extérieur, mais je la voyais très bien. Dynamique, volontaire, elle vous donnait l’impression qu’elle aimait ce qu’elle faisait. Mais je voyais bien à son visage qu’elle aspirait à autre chose. Il me tardait de savoir quoi exactement. Plus je la regardais, plus je voulais la connaitre. Plus je comprenais qu’elle n’avait rien à voir avec … Katerina. Il y avait cet homme aussi, ou ce garçon, je ne savais plus trop faire la différence. Nicolas, ce devait être son nom. Il semblait représenter quelqu’un d’important pour elle. Plusieurs fois je les avais vus s’embrasser. Étrange. Cela ne ressemblait en rien à mon époque. Ni à la passion que je vivais avec Katerina. Mais il faut dire que depuis des années, je ne faisais plus attention à ce genre de « sentiments ».
Puis je l’avais observé en cours. Car elle continuait ses études en parallèle. Dans ces instants, je me rendais invisible au monde. J’avais beau être jeune, jamais on ne m’aurait laissé pénétrer l’enceinte de l’université. Or, je tenais vraiment à en apprendre plus sur elle. Sur ses passions. Sa vie. Ses envies. Ses rêves. Ses espoirs. Ses peurs. Sans avoir besoin de lui adresser la parole. Et j’avais appris donc qu’elle étudiait le cinéma. Une notion bien vaste et complexe à mes yeux, n’ayant pas connu cela à mon époque. Mais cela signifiait « artiste ». Je pouvais voir sans ses yeux qu’elle aimait réellement ça. Tout comme je pouvais voir qu’elle n’était pas à sa place à Winchester.
Pendant quelques semaines, deux exactement, je l’ai donc observé ainsi. Et parfois, elle m’a surpris. Je le voulais. Je voulais qu’elle me voie. Je voulais qu’elle se demande qui j’étais. Je voulais qu’elle sache que j’étais là. J’avais bien compris qu’elle ne croyait qu’en ce qu’elle voyait. Que pas une seconde elle n’accordait de l’importance aux rumeurs de la ville. Aux fantômes du passé. Aux esprits malsains revenus se venger. Pourtant, une de ses amies était partie. Et la douleur était apparue. Sans que personne ne puisse lui apporter son soutien. Elle tentait de la cacher et d’être forte. Mais j’étais assez clairvoyant pour le remarquer.
Aujourd’hui, j’avais donc décidé qu’il était temps. C’était le moment. Ou jamais je ne lui parlerai. Jamais je ne saurai. J’ignorais ce que je pourrais dire. La manière dont je pourrais l’aborder. Sans l’effrayer. Sans paraitre « vieux jeu » ou stupide. Je marchais à l’intuition, à l’improvisation. Et la plupart du temps, ça fonctionnait très bien. Allumant une cigarette, à la sortie de la bibliothèque où je l’avais vu entrer quelques heures plus tôt, j’attendais qu’elle fasse son apparition. Adossé contre le mur, elle ne me vit pas en sortant.
«
Un mystique, c'est toujours un homme qui veut oublier quelque chose. »
Citais-je Jean Paul Sartre, œuvre qu'elle tenait sous le bras. Elle se retourna, sûrement surprise de me trouver-là, alors qu'elle se croyait seule. «
Êtes-vous une mystique ? » demandais-je en aspirant la fumée, fumée qui ne me ferait plus rien. Parler écriture, littérature était facile. J’avais eu bien le temps de m’instruire dans ce domaine et j’étais sur un terrain assez connu. Autant commencer par là … et voir où cela nous mènerait.