Lexey&Calum

« I thought it could be forever »
Une brise, juste un souffle qui vint à peine caresser sa peau. Sans doute que si elle avait été humaine, la chose aurait pu avoir plus d’incidence sur elle. Elle la sentit à peine aujourd’hui, comme depuis plusieurs jours déjà. De nombreux jours. Trop nombreux. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien faire là ? Une question dont la réponse lui échappait complètement, puisqu’elle se fondait parfaitement dans la masse, que personne ne l’avait encore remarquée, que personne ne l’avait encore reconnue. Elle faisait attention, probablement que ça jouait pas mal… Et puis de toute manière, ce n’était pas à Winchester qu’elle pourrait trouver qui que ce soit capable de répondre à toutes les interrogations qui tournaient dans sa tête. Elle se sentait captive de la vie, aussi étrange que cela puisse paraître. Incapable de mourir alors qu’elle s’était donnée la mort il y a de cela… bien longtemps. Mais voilà qu’elle se retrouvait à nouveau ici, à Winchester, cette ville qui avait si peu représenté pour elle… mais qui avait été le théâtre qui avait vu sa vie toute entière être réduite à néant, petit à petit, par une seule et unique personne. Cette ville qu’elle détestait plus que tout, parce que c’était là qu’il avait décidé de la laisser, persuadé que c’était l’endroit où elle survivrait le mieux à lui… proche de sa famille… cette même famille qu’elle n’avait pas hésité à dénigrer pour lui. Lui qui était… nulle part… et sans doute partout à la fois. Mort ? Non, elle n’en avait pas l’impression, pas le sentiment fébrile alors qu’elle sentait aisément qu’à Winchester, elle n’était pas la seule âme totalement perdue à errer. Peut-être toujours à vaquer, à continuer d’avancer. Loin d’elle, sans elle. Il ne savait sans doute même pas qu’elle était désormais six pieds sous terre à cause de ce qu’il lui avait fait… et qu’importe à vrai dire. Elle avait juste envie de repartir, replonger dans ce silence, dans ce noir où elle avait l’impression d’y avoir passé que trop peu de temps. A quoi ça pouvait bien servir qu’elle revienne ?! Pourquoi est-ce qu’elle était là, merde ?!

Un léger bruissement, éveillé par le vent qui avait soufflé quelques instants plus tôt et la voilà qui se levait, sans faire le moindre bruit, abandonnant le banc sur lequel elle s’était posée pour s’avancer. Le soleil se couchait à peine et pourtant, il y avait à peine personne dans les rues visibles depuis le parc tout aussi désert… il devait sans doute faire froid ce soir. Il ne semblait d’ailleurs pas faire très chaud, au vu des arbres bousculés presque continuellement par le vent. Qui sait, elle allait sans doute virer folle d’ici peu, devenir une vraie psychopathe, comme ce qui semblait être certains esprits, qui en arrivaient à tuer des êtres humains… Triste, avoir été une fille aussi banal de son vivant et tuer n’importe qui au point d’en devenir tristement célèbre une fois morte… ça ferait sans doute vraiment peine à voir. Allez savoir, c’était peut-être pour ça qu’elle n’avait jamais encore tué qui que ce soit… comme si elle retenait sa rage, sa rancœur pour elle ne savait pas très bien quel moment qui puisse potentiellement arriver. Lentement, mais sûrement, ses pas finirent par la guider devant le minuscule étang du parc… cette volonté qu’ils avaient toujours eu à Winchester de donner l’impression de se préoccuper de l’environnement. Il n’y avait étrangement aucun animal qui venait se poser sur cet étang, tout comme personne n’avait jamais vu le moindre poisson venir colorer sa surface. Elle s’était souvent bien marrée, rien qu’en constatant le cruel échec de cette pathétique tentative. Maintenant, elle n’y arrivait même plus, comme si elle était condamnée à errer avec cette peine qui lui pesait sur le cœur, celle avec laquelle elle était morte… celle qui l’avait d’ailleurs poussée à vouloir mourir.

« Tu voulais m’voir ? »
Accroupie devant le fameux étang du parc, Lexey releva le regard vers la voix qui venait de l’interrompre dans ses quelques réflexions. Elle adressa un simple sourire à l’homme qui venait de la rejoindre et, comme un rien, se releva, essuyant vite fait son pantalon avant de faire volte face.
« Hey… »
A vrai dire elle avait juste eu envie de le voir. Pas franchement d’idée sur quoi lui dire, elle n’y avait pas trop réfléchi… mais maintenant qu’il lui faisait face avec cette mine de trois pieds de long, elle avait la vague impression que l’idée ne lui plaisait pas autant à lui qu’à elle. Elle soutint pourtant son regard, gardant son sourire du mieux possible, jusqu’à ce que…
« Qu’est c’que tu veux Lexey ? »
Le ton était sec et froid, si bien qu’elle en resta un instant figée sur place. Elle esquissa un mouvement mais se ravisa rapidement, constatant à sa grande peine qu’il semblait… blessé, au point de lui en vouloir si fort que ça se lisait même sur les traits de son visage.
« Rien… rien de spécial. J’voulais juste te voir. »
« Me voir ? La prochaine fois utilise une photo. »
Surprise, elle ne trouva rien d’autre à faire que hausser les sourcils, perplexe… avant de finalement comprendre et de baisser les yeux.
« Garrett… »
« Ca fait SIX MOIS, Lexey ! Six mois que t’en as rien à faire de moi ?! Tu veux que je réagisse comment ? J’ai l’impression d’être trop souvent revenu sans rien dire ! Aucun signe de vie, rien ! T’as pensé au souci que pouvait se faire ta mère pendant que tu crapahutais à l’autre bout du pays avec un inconnu ?! »
« C’est pas un inconnu… »
Sa voix était quelque peu cassée et pourtant, elle eut la force de soutenir son regard pendant qu’elle disait ces mots là.
« J’m’en fous ! Mais t’étonne pas si tu te trouves toute seule. »
Et le voilà qui était reparti, sans rien dire d’autre, sans même laisser à Lexey l’occasion d’avoir la moindre phrase, le moindre mot de plus.

Elle avait définitivement tout gâché… elle avait envoyé baladé sa vie, son petit ami, sa famille pour lui… Et lui, il n’était jamais revenu, il avait comme disparu de la surface de la terre avec le prétexte débile d’une maladie qui n’aurait certainement jamais eu raison de lui. Des souvenirs qui la suivaient partout, où qu’elle aille, qui la hantaient. Mâchoires serrées, elle fixait à présent la surface de l’eau, imperturbable, plongée dans ce flot de souvenirs qui renaissait à présent du fin fond de sa tête… Vieilles douleurs, vieilles peines qu’elle avait cru pouvoir taire en se laissant mourir. Voilà encore une chose qu’elle avait gâchée. Elle était morte pour arrêter de souffrir et voilà comment elle se retrouvait aujourd’hui : morte, certes, mais toujours hantée par cette peine. Elle avait encore parfois l’impression de sentir sa présence là, derrière elle, à côté d’elle… jamais très loin. Une simple illusion qui était toujours suivie d’une déception cuisante, ressentiments, sentiments qui la hantaient encore à présent, à travers la mort. Voilà qu’elle réprima un frisson, incapable de sentir le froid… juste parce qu’elle avait eu l’impression de pouvoir sentir sa présence quelque part, au milieu du désert qu’était Winchester tandis que le soleil engageait sa route pour passer sous la ligne d’horizon. Elle leva un instant les yeux devant elle, observant ce spectacle qu’elle semblait être la seule à admirer en cette journée, tandis que tous les êtres humains s’étaient déjà réfugiés.

Il devait aller la voir. Il le fallait. Il lui devait bien ça. Il était parti, mourant, en lui laissant une misérable lettre que son frère avait postée, sans même se déplacer. Comme Calum le lui avait expressément demandé. Oliver ne s’était jamais montré contrariant. Calum avait dans l’idée que son frère savait qu’il finirait par le perdre. Tout du moins, le pensait il jusqu’à son opération. Depuis sa greffe, Oliver ne s’était pas montré moins surprotecteur. Loin de là. Il ne le couvait pas comme une mère, leur mère, l’aurait fait, mais dès qu’il venait rendre visite à son cadet, il n’oubliait de demander subtilement comment il allait. Alors que ce n’était plus réellement nécessaire. Une autre manière de vérifier que Calum prenait bien ses médicaments. Entre autres. Il n’avait jamais été du genre à se ménager et même si désormais, il était bien plus fort qu’auparavant, il n’était tout de même pas aussi résistant que n’importe qui d’autre, dont le cœur n’est pas malade.

Perdu dans ses pensées, Calum était arrivé devant le café où Lexey travaillait. Il regarda à travers la vitrine, et se sentit envahi d’une bouffée de nostalgie. Il se souvint de la première fois où il était entré. Parce qu’une jeune femme blonde qui ne cessait de rire aux plaisanteries des clients. Et quand il lui avait parlé, il avait pu voir la tristesse, la résignation, dans le regard sombre de Lexey.
Prenant une grande inspiration, Calum regarda mieux à l’intérieur. Mais il ne vit Lexey nulle part. Une sourde inquiétude l’envahit. Tout comme une puissante culpabilité. Il l’avait abandonnée comme si elle n’avait jamais compté à ses yeux. Le fait était que c’était pour exactement la raison contraire qu’il était parti. Parce qu’il était irrémédiablement, inconditionnellement et désespérément amoureux d’elle.

Lorsqu’il ressortit, il regretta d’être entré. Il aurait préféré ne jamais savoir. Ne pas apprendre que la seule personne qui ait jamais compté à ses yeux était morte. Seule, loin de lui. Et le pire, c’est qu’elle avait choisi de mourir. Ce n’était pas un accident, une maladie. Non. Lexey s’est suicidée. Elle s’était tranché les veines. Il voulait croire que ce n’était pas sa faute, mais il savait pertinemment que ce n’était pas le cas. Tout aurait été plus simple s’il n’avait pas su. Mais ce n’était pas le cas. Il savait. Au fond, il avait toujours su ce que Lexey ressentait. S’il n’avait pas été mourant, il n’aurait pas joué les aveugles. S’il n’avait pas été à l’agonie, il aurait largement pu se contenter de leur différence d’âge. Mais il n’avait rien fait de tout ça. Il avait toujours eu quelques doutes. Jusqu’au jour où il l’avait entendue se confier à l’une de ses stagiaires. Une jeune femme française, qui l’avait vu. Et qui donc avait parfaitement compris que Calum les avait entendues. Sans jamais y faire la moindre allusion et sans jamais en dire quoi que ce soit à Lexey.

Calum erra dans les rues, se sentant plus vide que jamais. Il envisagea un instant d’aller au cimetière, mais il ne voulait oublier son image. Il ne voulait pas garder comme souvenir une stèle triste, avec son nom, sa date de naissance et celle de sa mort. Parce que ça ne représenterait pas Lexey, ce qu’elle avait été, comment elle avait vécu, et encore moins à quel point elle avait illuminé sa vie. Elle était entrée et sortie, telle une comète.
Il décida d’aller à Goodrich Park. Lexey adorait ce parc. L’étang, plus particulièrement. Il n’avait jamais compris pourquoi elle était si fascinée par cette étendue d’eau. Il trouvait que la mare d’eau stagnante donnait le cafard.
Beaucoup d’anciennes cultures croyaient à la réincarnation. Certaines actuelles aussi. Il songea, avec un sourire, qu’elle se serait sans doute réincarnée en canard, simplement pour voguer sur l’eau.
Le vent soufflait très fort ce jour là. Calum était supposé se ménager, faire attention à sa santé. Et éviter ce genre de sortie, dans un coin humide et glacé. Mais ça lui importait peu. Il se dit qu’il aurait peut être dû refuser la greffe. Se laisser mourir. Lexey l’aurait rejoint et ils auraient été ensemble. Aujourd’hui, il ne pouvait que la pleurer. Alors qu’il n’en avait pas le droit. Après l’avoir laissée comme il l’avait, il ne méritait rien d’elle.
C’est alors qu’il vit la silhouette, à quelques mètres de lui, au bord de l’eau. Il crut qu’il devenait fou. La douleur lui faisait avoir des hallucinations. Ce ne pouvait être elle. Et pourtant, il la connaissait bien trop pour avoir le moindre. Sa façon d’incliner la tête… Il n’y avait aucun doute à avoir.

« Lexey ? » appela t’il sans trop y croire.