Je n’ai pas le temps de faire un geste que l’esprit est déjà sur moi. Je voudrais me défendre mais je suis comme paralysée. Je sais qu’il m’empêche de bouger. Comment ai-je pu ne pas le remarquer plus tôt ? S’il y a bien une chose que j’ai appris durant ces années de traque, c’est qu’il faut toujours se tenir sur ses gardes, ne jamais relâcher son attention. Aujourd’hui j’ai failli. J’ai oublié les règles les plus élémentaires, j’ai cru qu’enfouir mon passé était suffisant pour les rayer de ma vie. Oui, j’ai fait des erreurs et aujourd’hui j’en paye le prix fort. Un froid intense s’insuffle à l’intérieur de moi. Mon cœur se glace. Mes yeux se ferment lentement. Merde. J’essaye désespérément de rester éveillée. En vain. Je sais que je m’éloigne, qu’il ne me reste que quelques secondes. Je songe à Nolan. Nolan que je laisse seul. Mais ma dernière pensée est pour Aaron. Aaron, que feras-tu sans moi ? Aaron, comment vivras-tu mon absence ? Aaron, pourras-tu accepter ma mort ?
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« Aaron ! Aaron ! » je hurle précipitamment. Il accourt sur le champ, sans me laisser le temps de le supplier, pour se retrouver nez à nez avec une gigantesque araignée. Je ne suis pas une petite fille peureuse mais je déteste les araignées. Celle qui est sur le mur de ma chambre est énorme. La plupart des garçons se moqueraient. Pas Aaron. Il m’adresse un sourire, attrape l’araignée et la met dehors. Je me jette dans ses bras et me serre contre lui.
« Tu vois, heureusement que t’es là ! Sinon je serais morte de peur. Tu m’as sauvé la vie ! » Oui, c’est bien ce qu’est Aaron. Mon sauveur. Mon héros. Celui qui comptera toujours plus que tous les autres pour moi. Aaron. Mon grand-frère.
A côté de moi, Aaron s’agite. Il voudrait que Papa arrive. Je sais qu’il aime Papa et qu’il regrette son absence. Maman, c’est la même chose. Ils l’attendent avec l’espoir qu’un jour il reste. Moi, je n’aime pas Papa. Il n’est jamais là, il fait pleurer Maman et il donne un espoir à Aaron, espoir qui ne se réalisera jamais. Je me fiche de Papa. Pour moi, il n’est rien. Je n’ai pas besoin de papa. J’ai Maman et Aaron. Ils me suffisent amplement.
« Aaron, sois pas si triste. Je suis là moi. On va jouer ensemble, tu vas voir, ça va être chouette. » Il ne répond rien, toujours aussi renfrogné. Je le prends par la main et l’entraine dehors. Je lui souris.
« Tu te souviens quand t’as dit que j’arriverais pas à monter dans l’arbre ? » « Et que t’as dit que pas question que tu le fasses ? » « Oui. » « Et alors quoi ? » « Et ben je vais le faire ! » Avec un sourire toujours aussi large, j’entreprends de commencer à grimper. C’est plus dur que je ne l’aurais cru et je manque de tomber plusieurs fois de suite mais je continue ma lente ascension et j’arrive finalement sur la plus haute branche que je peux atteindre.
« Regarde Aaron ! T’as vu ! » Je me baisse, essaye de faire le cochon pendu. J’aurais peut-être pas dû. Je me suis lamentablement écrasée sur le sol. Aaron ne rit pas, il court vers moi, il veut vérifier que je vais bien. J’ai le sourcil ouvert et les genoux écorchés mais je vais bien. Une chance que je ne sois pas tombée de haut. J’ai mal et j’ai envie de pleurer. Maman arrive.
« Je t’avais interdit de monter dans cet arbre Theresa ! » Elle rouspète et m’entraine vers la salle de bain. Elle désinfecte mes plaies sans grande délicatesse, agacée par mon inconscience. Je sais qu’elle ne comprend pas pourquoi moi, qui suis beaucoup plus calme et moins casse-cou qu’Aaron, je suis montée dans l’arbre. Elle ne sait pas que si je l’ai fait, c’est pour le distraire. Pour qu’il soit moins triste. Le désinfectant me pique mais je n’ouvre pas la bouche. Ma main serrée dans celle d’Aaron est le soutien qui rend la douleur supportable.
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On aurait pu croire que la crise d’adolescence allait nous séparer. Qu’on allait commencer à moins bien s’entendre, à se disputer. Mais ce n’est pas le cas. Aaron est toujours aussi important pour moi. C’est peut-être mon grand-frère mais au fond de moi, je sais que je ne pourrais être plus proche de lui, même s’il était mon jumeau. Notre différence d’âge ne creuse pas de fossé entre nous. Depuis que Maman a envoyé Papa balader, c’est plus calme. On n’est pas toujours en train de se demander quand il va rentrer, en train de guetter ses visites à l’improviste. Je suis contente qu’il soit enfin parti. Je sais que Maman l’aimait et que pour Aaron aussi, il était important. Mais pas pour moi. Il n’est qu’un inconnu. Pour être mon père, il aurait fallu qu’il passe du temps avec moi, qu’il m’aime un tant soit peu. Mais ce n’est pas le cas. Peu importe. De toute façon, il est bien trop fier pour revenir. Il est définitivement sorti de notre vie, on dirait bien.
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Je voudrais être forte. Ne pas montrer mes faiblesses. Faire comme si rien de tout ça ne me touche. Mais c’est impossible. C’est de Maman dont il est question. Je lui dois tout, à Maman. Je pensais avoir la vie pour le lui dire, pour la remercier de tout ce qu’elle a fait pour nous, pour lui exprimer mon amour. Et aujourd’hui, elle est morte. J’ai beau détesté Papa et désapprouver tous ses actes juste par principe, il avait raison sur ce coup-là. C’était dangereux de rester ici. Peut-être, d’ailleurs, que si on était partis avec lui comme il nous l’avait ordonné, que si je ne m’étais pas rebellée, elle serait encore en vie. Oui, peut-être bien que c’est ma faute si elle est morte.
Aaron a appelé Papa pour le lui dire. Il nous a pris avec lui et depuis nous sommes devenus des machines à tuer. A tuer les esprits. Est-ce vraiment juste ? S’ils sont toujours là, sur Terre, c’est peut-être parce qu’ils ont quelque chose de très important à y faire. Je ne suis pas contre tuer les mauvais esprits, les mêmes qui s’en sont pris à Maman, mais certains sont innocents. Je déteste sa vision manichéenne qu’il donne à Aaron à force de bourrage de crâne. Je ne suis pas proche de lui. Je ne l’ai jamais été avant et pendant les trois ans où nous chassâmes ensemble, jamais je n’eus envie de le reconnaître comme mon père.
Papa est mort aujourd’hui. Je crois qu’il s’est sacrifié pour nous. Pour Aaron, du moins. Ils étaient proches. Moi, je n’ai jamais fait quoi que ce soit pour attirer son attention au cours de ces trois dernières années. J’étais celle qui contestait ses décisions, sa façon de voir les choses et je n’ai jamais été très douée pour la chasse. Ce n’est simplement pas mon truc. Étonnement, ça me touche un peu de savoir qu’il est mort, définitivement mort, et que je ne le reverrai jamais. Je vais arrêter de chasser, je l’ai décidé ce matin. Il est temps d’arrêter de se voiler la face. Chasser ne nous apporte rien. La peine est toujours là, au fond de mon cœur, toujours aussi forte, les regrets toujours aussi brûlants et la culpabilité toujours aussi présente. Il faut que je rentre chez moi. A Winchester.
« Aaron, je suis désolée mais je ne peux pas continuer comme ça. »❦
J’ai toujours aimé les livres. Depuis que je suis toute petite, j’aime m’évader, oublier la réalité, me fondre dans les livres. C’est sans doute pour cela que le seul métier normal qui m’est été envisageable quand je suis revenue à Winchester, c’était libraire. Ma passion est devenue mon métier, j’ai abandonné l’existence désastreuse que je menais avant pour me consacrer à ce que j’ai toujours voulu. Une vie normale.
« Bonjour mon amour » me lance Nolan en me donnant un léger baiser. Un sourire niais apparait sur mon visage. Nolan. Mon fiancé. Je l’ai rencontré dès mon retour dans la ville de mon enfance. Bien entendu, il n’a aucune idée de mes anciennes activités. Et il ne doit jamais rien en savoir. J’ai abandonné cette vie, il n’y a aucune raison pour qu’il l’apprenne. La seule chose qu’il sait sur mon passé, c’est que mon frère est ma seule famille. Il n’a pas besoin d’en connaître davantage. J’aimerais pouvoir tout lui raconter mais c’est impossible. Personne ne mérite d’apprendre que les fantômes existent. De toute façon, il ne me croirait pas. Mais j’ai de la chance de l’avoir. Je vis la vie dont j’ai toujours rêvé. J’ai un joli appartement, un fiancé que j’aime, un travail qui me plait et aucun esprit à l’horizon. Peut-être vais-je enfin pouvoir vivre sans être plongée dans le passé ?
Un an. Je suis restée un an sans voir Aaron, un an à espérer pouvoir le raisonner, un an à prier pour son retour. Et un jour, il est finalement arrivé devant ma porte par je-ne-sais-quel-miracle. Il a souri comme si de rien n’était. J’ai eu envie de remercier quelqu’un pour son retour mais je me suis aperçue que je ne savais pas qui. Dieu n’existait pas, sinon il n’aurait pas laissé ces mauvais esprits s’en prendre à d’innocentes personnes.
Je ne peux être plus heureuse. Ce n’est pas seulement ma vie qui va pour le mieux mais aussi celle d’Aaron. Maintenant qu’il a abandonné notre ancienne existence et que je lui ai présenté mon amie Ally –j’étais sure qu’ils se plairaient mutuellement- ils se sont construits un petit monde à eux comme je l’ai fait avec Nolan. D’autant qu’Ally est enceinte. Mon dieu, je vais être tante. Il me semble que jamais la vie ne pourra être plus radieuse.
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Un esprit. Je ne suis rien qu’une âme habitant un corps sans vie. Un fantôme. Un de ceux que j’ai tant chassé pendant ces dernières années. Pourquoi suis-je encore ici ? Est-ce vraiment mieux que de mourir ? Je ne peux plus revoir mes amis, je suis morte à leurs yeux. Pour Aaron aussi. Il a abandonné sa vie pour venger ma mort et je ne peux rien faire pour l’en empêcher, pour l’obliger à retourner vers Ally et leur enfant. Je ne sais même pas comment il réagirait s’il me voyait. Après tout, ne suis-je pas l’un de ces monstres qu’il extermine sans se poser de questions ?
Je n'ai jamais été particulièrement contre les esprits. On m'a appris qu'ils étaient mauvais et que je devais les faire disparaître mais je n'ai jamais adhéré à la vision manichéenne qu'ont la plupart des exorcistes. On ne doit pas se dire qu'un esprit est mauvais simplement parce que c'est un esprit. Pourtant j'en ai tués. Un esprit. C'est ce que je suis aujourd'hui. Je déteste cette condition. Aux yeux de mes amis, je suis morte. Je ne peux pas réapparaître comme ça, en disant simplement que je suis un fantôme. Les gens m'ont pleurée et ont fini par accepter ma perte. Je suis morte il y a deux ans. Theresa est morte. Je ne peux pas prétendre qu'il ne s'est rien passé et continuer à vivre comme si j'étais encore vivante. Si je suis devenue un esprit, j'imagine que c'est à cause de mon tempérament altruiste. L'idée d'abandonner mon fiancé m'horrifiait mais le pire dans tout ça, c'était de savoir qu'Aaron avait abandonné sa vie bien rangée pour retourner chasser.
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Sam 1 Jan - 19:44
